Le vélo comme objet
Pourquoi cet article?
Le vélo est un objet mécanique, un objet d'émancipation, un objet symbolique... Mais aussi un objet comme un autre, un objet de consommation, de disign, obsolescent, etc. C'est pourquoi dans cet article nous nous intéresserons à ce que les Sciences Humaines disent des objets. Un petit détour nous aidera peut-être à mieux comprendre certaines choses.
Bibliographie
FAIRE: pratiques et témoignages
- Sabin Guillaume, Dévier, Libertalia, 2025
"Au départ, il y a ce premier geste qui consiste à se tenir à une certaine distance du travail discipliné. Ne travailler que par intermittence ou à temps partiel parce que la vie et les activités requises pour en prendre soin ne tiennent pas dans les semaines à heures fixes, dans les gestes imposés par la rentabilité et les nouvelles féodalités managériales. Ce premier geste en entraîne un autre : il faut vivre avec moins d’argent, se débrouiller autrement. Bricolage singulier du XXIe siècle qui mêle l’art de fabriquer et d’échanger avec celui de récupérer, transformer, remettre en état. Le regard se fait attentif à ce qui est délaissé, abandonné, à tout ce qui peut servir, aux savoir-faire du voisinage, aux amitiés qu’il faut entretenir. Dans un monde abîmé, la vie reprend pied dans une écologie des relations qui tisse de nouvelles proximités et subvertit l’injonction à ne se soucier que de nos univers privés. Anthropologie de notre temps, Dévier suit le quotidien de celles et ceux qui, par leurs gestes, réveillent la pensée soudain confrontée à la joie de ce qui bouleverse et réenchante."
- Lochmann Arthur, La vie solide, La charpente comme éthique du faire, Payot, 2019
Travailler avec ses mains, faire de l'artisanat, c'est composer avec le réel. C'est penser depuis le réel, c'est confronter la théorie au réel. Faire avec ses mains rend plus humble (car rien n'est jamais parfait, tout prend du temps, tout est question de compromis, a des limites que la théorie n'a pas, etc). L'auteur évoque aussi le ré-ancrage dans le temps que permet le travail manuel et enfin il souligne le travail pédagogique et de transmission des artisan-nes, ce dernier donnent le sens...
- Linhardt Robert, L'établi, les éditions de minuit, 1981
Extrait de la quatrième de couv': "L’Établi, ce titre désigne d’abord les quelques centaines de militants intellectuels qui, à partir de 1967, s’embauchaient, “ s’établissaient ” dans les usines ou les docks. Celui qui parle, ici a passé une année, comme O S. 2, dans l’usine Citroën de la porte de Choisy. Il raconte la chaîne, les méthodes de surveillance et de répression, il raconte aussi la résistance et la grève. Il raconte ce que c’est, pour un Français ou un immigré, d’être ouvrier dans une grande entreprise parisienne. Mais L’Établi, c’est aussi la table de travail bricolée où un vieil ouvrier retouche les portières irrégulières ou bosselées avant qu’elles passent au montage. Ce double sens reflète le thème du livre, le rapport que les hommes entretiennent entre eux par l’intermédiaire des objets : ce que Marx appelait les rapports de production."
Histoire des objets
- Jarrige François, On arrête (parfois) le progrès, La Découverte/Décroissance, 2022
-L'historien déclare que les inventions arrivent dans un contexte socio-historique déterminé. Certaines inventions rencontrent le succès, d'autres non. Le progrès est souvent présenté comme irréversible et inévitable or il est souvent à la base le point de rencontre de rapport de force, d'orientations de la société, etc. Qui gagne/perd à chaque progrès ? (il suffit penser à la main d'oeuvre déplacée/utilisée, à la Terre qu'on creuse, aux cours d'eau pollués, etc.)
- Bartholeyns Gil, charpy Manuel, L'étrange et folle aventure du grille-pain, de la machine à coudre et des gens qui s'en servent, Carnets parallèles, 2021
-On invente des objets. Les gens s'en servent comme ils peuvent en fonction de leur représentation sociale. Les auteurs racontent comment les personnes apprivoisent les objets, ils disent tous les allers-retours (fascination, sentiment de perte de liberté et d'autonomie, détournement, indifférence, etc.)...
- Edgerton David, Quoi de neuf? Du rôle des techniques dans l'Histoire globale, Seuil, 2013
Objets et consommation
- Enon David, 'La vie matérielle, mode d'emploi', Carnet parallèle, 2021
"Ce livre propose de considérer le bricolage comme un acte de résistance politique. Il vise à enseigner au lecteur des choses simples et indispensables, dans l'espoir de lui ouvrir les yeux sur ces objets qu'il méprise, auxquels il s'adapte et dans lesquels il se cogne parfois, afin de l'inciter à s'y intéresser pour ne pas le laisser aux seules mains de l'industrie et de la société de consommation."
- Galluzzo Anthony, La fabrique du consommateur, Une histoire de la société marchande, La Découverte, 2020
Vers 1800, la plupart des Français étaient des paysans qui construisaient eux-mêmes leur maison, récoltaient leurs céréales, pétrissaient leur pain et tissaient leurs vêtements. Aujourd'hui, l'essentiel de ce que nous consommons est produit par un réseau de grandes et lointaines entreprises. En deux siècles à peine, la communauté paysanne autarcique s'est effacée pour laisser place à une myriade de consommateurs urbains et connectés. Cet ouvrage retrace les grandes étapes de cette conversion à la consommation. Comment s'est constitué le pouvoir marchand ? Quels changements sociaux ont accompagné la circulation massive des marchandises ? En parcourant l'Europe et l'Amérique du Nord des XIXe et XXe siècles, ce livre retrace l'histoire de multiples dispositifs de marché : la marque insufflant à la marchandise sa valeur-signe, les mises en scène inventées par les grands magasins, l'ingénierie symbolique déployée par les relations publiques et la publicité... Il raconte la conversion des populations à la consommation et la fulgurante prise de pouvoir des marchands.
- Guien Jeanne, Le consumérisme à travers ses objets, Divergences, 2021
-L'anthropologue Jeanne Guien retourne les évidences : On nous raconte souvent qu'on produit des objets pour répondre à des besoins des consommateurs, mais on en produit aussi pour que les industriels occupent les machines, les travauilleur-ses et trouvent de nouveaux débouchés... Elle mène sa recherche depuis la poubelle, quels sont les objets jetés et pourquoi? https://www.arte.tv/fr/videos/108567-011-A/pourquoi-a-t-on-besoin-de-jeter/
- Guien Jeanne, Le désir de nouveautés — L’obsolescence au cœur du capitalisme (XVe-XXIe siècle), éd. La Découverte, mars 2025
- Biss Eula, Avoir et se faire avoir, Payot-Rivage, 2022
-Une autrice interroge ses objets et avec eux, sa maison, ses goûts, sa classe, son genre, ses relations amicales, les cadeaux offerts ou reçus, etc. Quels liens a t-elle avec les objets?
- Vidal Aude, 'Ecologie, écologie et course au bonheur', Le monde à l'envers, 2017
Quatrième de couv': "Développement personnel, habitats groupés, jardins partagés... : face au désastre capitaliste, l'écologie se présente comme une réponse globale et positive, un changement de rapport au monde appuyé par des gestes au quotidien. Comme dans la fable du colibri, « chacun fait sa part ». Mais en considérant la société comme un agrégat d'individus, et le changement social comme une somme de gestes individuels, cette vision de l'écologie ne succombe-t-elle pas à la logique libérale dominante, signant le triomphe de l'individualisme ?" Aude Vidal donne cette exemple, pour ne pas jeter, le Société de consommation loue le bricolage, alors chaque garage est rempli à ras-bord d'outils électro-portatifs, d'objets hétéroclites, de projets de bricolage... Elle questionne aussi notre soif d'autonomie (il faudrait tous les outils pour pouvoir tout faire tout-e seul-e) or la complémentarité est aussi ce qui fonde la société, l'entraide, les liens... (Des questions qui seront dévelopées également par Anne Humbert dans 'Tout plaquer: la désertion ne fait pas partie de la solution... mais du problème', Le monde à l'envers, 2023)
- Le Meur Mikaëla, Le Mythe du recyclage, Carnets parallèles, 2021
-L'autrice pose la question: "L'économie circulaire est-elle bien circulaire?". Avec l'exemple du plastique envoyé au Vietnam, elle raconte la noria du transport, les petites mains (femmes, vieux, minorités ethniques) qui trient dans les montagnes d'ordures, les odeurs putrides, les pollutions environnementales, les inégalités sociales que cette filière génère, les bénéfices (et les risques) mal partagés, et au final la création d'objets recyclés de moindre qualité destinés aux Pays du Sud. La propreté chez les un-es devient l'enfer pour d'autres.
Objets et autonomie
- Berlan Aurélien, Terre et liberté : la quête d'autonomie contre le fantasme de délivrance, La lenteur, 2021
"Dans la plupart des civilisations ou des milieux sociaux, l'idée de la liberté qui prévaut est de pouvoir se décharger de la vie matérielle, des tâches de subsistance : sur les esclaves, sur les travailleurs manuels et les femmes, sur les machines... Dans cet essai philosophique remarquable, Aurélien Berlan ravive une conception opposée, subalterne, de la liberté portée par des mouvements populaires d'hier, en Occident, et des mouvements paysans d'aujourd'hui, dans les pays du Sud (en Inde et au Mexique, en premier lieu) : la prise en charge collective et égalitaire des besoins de base, des besognes nécessaires à la vie sur terre. Contre le rêve de délivrance, le projet d'autonomie , contre le libéralisme, le marxisme et notre société de services néo-domestique, la réappropriation de la part matérielle de nos vies."
- Louart Bertrand, Réappropriation, Jalons pour sortir de l’impasse industrielle, La lenteur, 2022
"Bertrand Louart, menuisier-ébéniste à la coopérative Longo maï, pose de façon simple et pédagogique, le dilemme de la critique sociale actuelle : comment critiquer un système dont nous sommes matériellement hyper-dépendants ? En effet, l’histoire du capitalisme industriel est, depuis l’époque des enclosures, celle de la destruction de l’autonomie collective et individuelle. Pour sortir de cette impasse, il défend, contre tous les admirateurs de l’abondance industrielle, la réappropriation des arts et des métiers : reprendre en mains nos conditions d’existence, à la fois pour mieux vivre et saper la mégamachine."
- Geneviève Pruvost, La subsistance au quotidien - Conter ce qui compte, La Découverte, 2024
"Dans les sociétés de consommation-production où nous vivons, le travail de subsistance est devenu invisible et, avec lui, tous les circuits mondialisés dont nous dépendons. D'autres formes de vie s'épanouissent pourtant, qui mettent au centre les flux de matières, l'entraide, les circuits courts, et construisent pas à pas une autonomie écologique. Rien d'utopique dans ces manières d'exister mais un engagement entier et réfléchi, dont il importe aujourd'hui, face à l'évidente catastrophe environnementale, de cerner au plus près les conditions de possibilité. Il a fallu pour cela inventer une forme inédite d'observation, en devenant graphomane du labeur quotidien. Sur fond de dix ans d'enquête auprès d'alternatives rurales, ce livre propose de zoomer sur une maisonnée, dans un bocage peuplé d'habitats légers : des boulangers-paysans y travaillent pour réenclencher des cycles d'abondance, les mains dans la terre, en synergie avec un biotope et tout un réseau de sédentaires et de nomades. Qui fait quoi, sur combien de mètres carrés, avec quelles techniques, quels moyens financiers, quelle formation, combien de personnes, d'animaux, de plantes, d'outils ? Tous les échanges en argent, en nature, en paroles ont été consignés, stylo et montre en main, pour conter ce qui compte. Voici le récit haletant de cette lutte feutrée qui politise le moindre geste. Car tel est bien l'enjeu : donner chair et réalité à un monde dont la radicalité est méconnue ; montrer que des alternatives à la " modernité capitaliste " résistent et qu'elles peuvent gagner du terrain."
- Boni Stefano, Homo confort, Le prix à payer d’une vie sans efforts ni contraintes, L’échappée, 2022
"La recherche d’un mode de vie centré sur le confort, c’est-à-dire débarrassé de toute forme de contrainte, de fatigue ou d’effort, est devenue un idéal absolu. Désormais, le confort ne sert plus seulement à satisfaire nos besoins réels, mais constitue le coeur d’une logique économique, sociale et psychologique dans laquelle notre sentiment de bien-être repose sur l’accumulation d’objets pratiques et sur le recours systématique à la technologie. Répandu dans la plupart des classes sociales des pays développés, le confort fait l’objet d’un consensus que brise ce livre original, qui se situe à la croisée de l’anthropologie et de la philosophie. Stefano Boni réactualise les analyses d’Ellul, Anders, Illich ou Latouche, pour révéler le prix à payer de l’expansion du confort moderne : affaiblissement de nos capacités cognitives et sensorielles, perte d’autonomie au profit de dispositifs technologiques, renforcement de l’individualisme, appauvrissement et instrumentalisation des relations sociales, mise à distance de la nature et destruction des écosystèmes. En nous privant de toute expérience considérée comme désagréable ou négative, le confort nous enferme dans un cocon protecteur qui nous coupe du monde extérieur et de nous-mêmes, de tout ce qui fait le « sel de la vie » et contribue à nous rendre pleinement humains."
Disign et émancipation
- Papanek Victor, Disign pour un monde réel, Les presses du réel, 2021
-Quel est la fonction social du disigner? Son rôle se résume t-elle à booster la consommation en rendant les objets plus désirables? Pour Victor Papanek le disigner doit chercher la meilleure forme, la plus simple, la mois dommageable pour environnement, la plus accessibles, la plus adaptée à la culture des utilisateur-ices... Pour lui l'objet devrait être fabriquer avec les utilisateur-ices, en discussion permanente. Et, un grille-pain n'a pas besoin d'être aérodynamique, car il ne vole pas!
- Bosqué Camille, Disign pour un monde fini, Carnets parallèles/La vie des choses, 2024.
-Quel est le rôle des disigners à l'heure des désastres écologiques ? Comment repenser notre rapport aux objets ? Moins, mieux, plus réparables, mutualisables, etc.
Fabrication, maintenance/entretien, féminisme et invisibilisation
- Denis Jerôme, Pontille David, Le soin des choses, politiques de la maintenance, La Découverte, 2022
-Réparer, entretenir, prendre soin des objets conduit à un nouveau rapport avec eux. Entretenir permet de comprendre, d'accompagner, de faire durer. L'entretien et la maintenance est une pratique modeste, discrète, peu valorisée, mais indispensable pour que les choses fonctionnent (ils suffit de penser aux réseaux d'eau, d'électricité, aux bâtiments, etc). Les deux sociologues s'appuient et développent les travaux de Mierle Ukeles Laderman. Alors que l'innovation et le changement permanent sont le leitmotiv du capitalisme, l'entretien pourrait s'avérer plus nécessaire à l'heure des désastres écologiques et sociaux! https://www.arteradio.com/son/61678248/c_est_mieux_quand_ca_dure_prendre_soin_des_objets
- Ukeles Laderman Mierle, Manifesto for maintenance art, 1968
- L'artiste et féministe Mierle Ukeles visibilise dans ses performances le travail invisible de celles et ceux qui entretiennent. "Qui nettoie le musée? Qui ramasse les poubelles ? Comment travaillent les pompiers ? Qui s'occupe des enfants ? etc." Son travail s'efforce de mettre en avant les problématiques négligées au sein de l'espace social, en particulier les échelles de légitimé entre les professions, notamment en regard du travail ménager et des bas salaires.
- Bonzi Bénédicte, La France qui a faim, Seuil, 2023
-L'anthropologue Bénédicte Bonzi réfléchi au don : "Qui donne ? Qu'est-ce qui se donne ? A qui ? etc." Elle interroge le don de temps des bénévoles du Restaurant du Cœur, ainsi que le don de nourriture par les entreprises et l'Etat (les entreprises defiscalisent en "donnant" et trouvent par leurs dons des débouchés à leurs invendus et aux produits de mauvaises qualités). Tous les dons sont-ils de même nature ? Changent t-ils l'ordre des choses ou bien le renforcent t-il?
Et puis...
- Ouassak Fatima, Rue de passage, Lattes, 2024
-L'autrice évoque les petits métiers pratiqués par des travailleur-ses immigré-es en France. En le faisant, elle leur redonne vie, les valorise, les visiblise. Elle dit aussi leur fonction social. Dans son récit les métiers et les objets fabriqués permettent de faire communauté. L'atelier et la boutique sont des lieux de rencontres, des repères culturels...
- L'Atelier de Bidouille Libre de Grenoble (ABIL), L'Atelier Fluo, L'Alternateur, La Mathériothèque de Fontaine, uN peTit véLo dAnS la TêTe, "Nous ne sommes pas des fablabs",autoédition, février, 2021.
-Le capitalisme a tendance à récupérer la critique, notamment celle de la consommation et de la production. Dans ce texte-manifeste remarquable des ateliers réaffirment leur vocation sociale, solidaires et subversives. Ils déclarent, par exemple, qu'ils sont ouverts à tous les publics, qu'ils souhaitent diffuser des savoirs émancipateurs, qu'ils s'inscrivent dans une démarche d'éducation populaire... En cela ils se distinguent des ateliers où toute la place est donnée à la technique, mais où l'utilité de celle-ci n'est pas questionnée.
- Achille Mbembe - La Communauté terrestre 2023
- Anselm Jappe - Sous le soleil noir du capital. Chroniques d'une ère de ténèbres 2021
- Jaime Semprun , Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, 2008
- David , Graeber/wengrow, Au commencement était... - Une nouvelle histoire de l'humanité, 2021
Voir aussi Margot Abord de Chatillon https://lirsa.cnam.fr/le-laboratoire/membres/margot-abord-de-chatillon--1351176.kjsp#/