Un accident presque banal

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Ce texte s'inspire d'un incident avec une voiture (Corvette) qui a lieu lors de la Vélorution Universelle de Tours le 14 juillet 2019 VU. Le texte est de Benjamin et les images sont de Una. Ce récit en images a été publié dans le fanzine Chasse-Goupille (le n°14)

Un accident presque banal

Ce dimanche, deux cyclistes sont à terre. I·elles ont été percuté·es par une voiture.

Avant de commencer

Après une assemblée générale de clôture, un bon repas végétarien et une petite sieste à l'ombre des arbres, les militant·es vélorutionnaires quittent le campement en cortège vers une plage de la Loire.


Le terme "Vélorutionnaire" vous interroge peut-être ? Il peut sembler extrême, mais n'ayez pas d'inquiétude, les vélorutionnaires ne sont juste que des militant·es du vélo cherchant à aller un peu plus loin que la seule défense de la bicyclette. I·elles défendent un mode de vie plus respectueux de la nature et des personnes, des moyens d'organisation horizontaux, l'autonomie, le faire soi-même... Pour faire court, i·elles sont un subtil mélange de hippies, de punks, d'alternatif·ve·s, d'utopistes, de roots et autres beatniks...

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Les manifestations qui ont eu lieu ce week-end à Tours se sont bien déroulées. Le comité d'organisation de la Vélorution Universelle a cette année particulièrement insisté sur les consignes : autogestion, respect de chacun.e, pas de provocations envers les automobilistes (chacun.e est invité.e à sourire pour libérer les automobilistes enfermé.es dans les voitures!), les violences entre nous ne seront pas tolérées (pas d'embrouilles, pas de propos sexistes, racistes, pourris...)


Il a même été convenu que si une personne était en difficulté et prononçait le mot de "4x4" chacun.e irait la secourir. Les féministes, en chantant, en affichant des slogans, en créant des fanzines, n'ont cessé.es de mettre en garde : pas de démonstrations viriles, pas de dragues lourdes, pas de bisous sans consentement... Il semble que chacun.e ait joué le jeu. Durant le week-end, peu d'abus d'alcool à déplorer, pas de jeux dangereux à vélos, pas de larmes... Les vélorutionnaires ont été sages comme des images... La joie et la bonne humeur ont été au rendez-vous!


La raison est sans doute que nombre d'entre nous sont presque devenu·es raisonnables... Beaucoup d'entre nous se trouvent maintenant entre 30 et 50 ans... Certain·es sont même venu·es en famille. Les enfants, dont quelques bébés, sont promené·es dans des vélos cargos ou dans des couffins installés sur de plus grands porte-bagages...


Le cortège coloré s'étirait, donc, doucement sur une petite digue surplombant la campagne et la Loire. Et, bien que nos biclous arboraient encore des drapeaux vélorutionnaires, nous avions un peu débauché* de la militance. L'heure n'était plus à chanter des chansons sur la fin du pétrole, sur la joie du vélo, sur la pollution des automobiles. Non ! Nous étions plutôt en train de commencer les au revoir: "Comment rentre-tu de l'autre côté de la France? (ou en Belgique, il y avait des belges parmi nous!)", "Salue Un.e Tel.le de ma part!", "Passe chez moi à l'occasion!", "Vivement la prochaine Vélorution Universelle!", etc.


Quand on roule de cette manière, en groupe, le cortège ne doit pas être divisé, il est UN SEUL VÉHICULE. Aucune voiture ne doit pouvoir s'y glisser ou bien le doubler. Pour réussir, l'habitude est de sécuriser les intersections. En mettant leurs montures en travers du chemin une ou deux personnes barrent la route et expliquent aux automobilistes qu'ils n'attendront que quelques minutes. Puis, ces deux personnes sont relayées par d'autres cyclistes, au fur et à mesure que le peloton de cyclistes avance.


L'accident

Je roulais un peu devant. J'essayais de ralentir pour que Margot me rejoigne. Margot, vous vous en doutez peut-être, n'est personne d'autre que "Margotte" celle qui écrit dans Chasse-Goupille. Elle vient de passer un an à Cuba. Nous avons parlé tout le week-end de son voyage, de vélos, de Chasse-Goupille, de ses projets, d'il y a quelques années lorsqu'elle était co-présidente de l'atelier où je travaille... 


Bref, je pédale, j’attends, je me retourne de temps à autre. Puis, d'un coup, des cris ! Je tourne la tête pour jeter un œil. Une partie du cortège est arrêtée à une intersection. Je rebrousse chemin et je vois une voiture qui accélère, qui avance... Et j’entends les personnes hurler que Margot et Matthieu sont à terre. Je me rapproche. Matthieu a fait des roulades et a réussi à s'extraire de dessous la voiture. Margot, elle, a été percutée. Son vélo a été amoché. L'automobiliste n'éteint pas le moteur et semble toujours décider à avancer. Les cyclistes ont peur que l'automobiliste ne fonce dans le tas et s'écartent. Puis, en un éclair, ils se ressaisissent et extirpent Margot et son vélo de devant la voiture.


Tout le monde fonce sur la bagnole. Je suis encore à quelques mètres et j'imagine que l'automobiliste va se faire lyncher. Que sa voiture va être mise en pièces détachées. Que les antivols en "U" vont s'abattre comme la grêle sur son pare-brise et sur sa carrosserie. Je commence à voir rouge et j'entrevois déjà sa voiture poussée dans le ravin.


Mais non! Les vélorutionnaires sont gentil·le·s, i·elles crient, i·elles photographient et supplient le conducteur de couper son moteur. Mais, celui-ci n'obtempère pas. On sent qu'il aimerait encore passer, fuir, par devant, ou bien en marche arrière. Les cyclistes l'entourent, i·elles sont peut-être une cinquantaine à ce moment. Il fait rugir son moteur pour les tenir à distance.


Puis, les cyclistes réussissent à immobiliser le véhicule. Le moteur est coupé. La carrosserie n'a supportée aucun coup. Nous laissons circuler les voitures qui ont été bloquées par l'incident. Certain·es conducteur·ices ont tout vu, sont choqué·es, s'arrêtent et demandent des nouvelles des deux accidenté.es. Matthieu et Margot se palpent le corps pour savoir si rien ne manque. La chute et les dix minutes de cris les ont sonné. Le vélo de Margot a la roue arrière comme une vieille chips. Elle, elle, a l'air de ne rien avoir, juste, quelques égratignures. Je lui fais des blagues pour la rassurer et me rassurer, aussi, un peu. Ouf, elle est vivante, elle rit, le principal fonctionne !

Interprétations

Je crois, qu'avant même d'arriver sur le lieu, je pensais à Easy Rider. Pendant toute leur épopée à travers les Etats-Unis, les deux célèbres motards ont rencontré du monde, ont grandi, ont réfléchi... Après bien des aventures, ils roulent paisiblement sur une route de campagne... Le film pourrait s'arrêter là... Mais, d'un coup, alors que rien ne le laissait présager, ils sont assassinés! Pour rien du tout, par un sombre crétin qu'ils ne connaissaient ni d'Eve ni d'Adam et qui, par hasard, passait par là... Pour rien? Enfin non, celui qui tire veut montrer à son pote qu'"il en a" et qu'"il sait tirer au fusil"... Captain América et Billy meurent car un mec veut frimer devant un autre. Désespérant !


Matthieu travaille pour l'essaimage des ateliers vélos, pour le partage des connaissances en mécanique, pour un monde avec moins de gaspillage, des rapports plus respectueux entre les gens... Margot écrit dans Chasse-Goupille le fanzine de l'émancipation par le vélo, elle a travaillé comme Matthieu a l'essaimage de la vélonomie. Par sa bonne humeur et ses blagues, elle remonte le moral des troupes... Ces deux là font partie de la crème des ateliers!


Mais, surtout, sans ces deux là pour nous protéger, la voiture serait probablement allée se loger dans le cortège de vélos au risque d'en faire tomber beaucoup d'autres... Sachant qu'il y a aussi dans le convoi d'autres « crèmes des ateliers » (il n'y a même que ça!), d'autres porteur.ses de projets alternatifs, écologiques, solidaires... De loin, on a peut être l'air "gentillet·tes" avec nos drapeaux et nos vélos "rigolos", mais grâce à beaucoup d'entre nous, se sont des tonnes de vélos qui ne partent plus à la poubelle et trouvent une nouvelle vie, beaucoup de personnes apprennent à se débrouiller par elles mêmes, retrouvent confiance, apprennent à mettre en accord leurs idées et leurs gestes... De nouveaux rapports se créent entre les gens, on s'entraide, on est moins égoïstes. On pratique des petits prix pour être accessibles à tous et toutes... Parmi ces personnes présentent dans le cortège certaines organisent des festivals, des rencontres, inventent et soudent des vélos amusants pour les petit·es et les grand·es, écrivent des articles pour vulgariser la mécanique vélo, la pédagogie, la gestion d'espaces collectifs, essayent de faire converger les enjeux sociaux et écologiques...


Bref, sans Margot et Matthieu, la voiture, comme un chien stupide, aurait peut-être foncée dans le cortège, comme dans un jeu de quilles. J'ai eu très peur pour ces deux là. Le bonheur est fragile et peut se faire écraser à tout moment par une automobile !

La voiture, son automobiliste et ses autres passager·es.

La voiture, il s'agit d'un modèle de sport, une Corvette Chevrolet Sting Ray décapotable datant des années 1960. Elle a un moteur V8, faisant 250 à 435 chevaux. Elle pèse 1430 kg et peut aller jusqu'à 250 kilomètres/heure. C'est la voiture de la liberté, du rêve américain, de la puissance, de l'individualisme forcené. Le film Gran Torino (un modèle de Ford de 1972) montre un peu le genre de relations pouvant exister entre une voiture, un homme et un mode de vie. Ma voiture, ma propriété, ma maison individuelle, ma propriété; et mon fusil semi-automatique "M1 Garand" pour défendre mon honneur, mon mode de vie, ma liberté et ma propriété...


Bref, l'homme éteint le moteur. Il semble un peu énervé par ce contre-temps qui lui fait perdre, à lui et à sa famille, un peu de temps dans sa promenade motorisée du dimanche.


L'homme porte un joli polo de coureur automobile. Ses enfants sont bien habillé·es et bien peigné·es. Sa femme est posée, passive, silencieuse, à côté de son conducteur d'époux.


L'homme sort de sa voiture. Certain·es militant·es le traitent d'assassin et d'inconscient. Lui, essaye, de rester calme et d'expliquer qu'il voulait juste se faufiler dans un trou du cortège. Qu'il était dans son droit, puisqu'il avait la priorité à droite. A croire qu'à ses yeux sa liberté de circuler vaut davantage que le droit de vivre des deux personnes qui lui barraient le passage. Il aimerait qu'on le comprenne, il a juste essayé de passer en force. Il ne voulait pas provoquer d'accident : lorsqu'on avance dans une foule, généralement les gens "normaux" s'écartent! Avec nous, il n'a pas eu de chance, ça n'a pas fonctionné ! Pouvons-nous le comprendre?


Nous sommes un peu désarçonné·es par le personnage. Il regarde minutieusement l'état de sa carrosserie. Il récrimine un camarade, l'accusant d'avoir touché sa propriété de véhicule chéri. Agacé de ne trouver aucune trace, il met un terme à son inspection. Jusqu'à ce que, quelques minutes plus tard, un de ses jeunes fils descende de la voiture pour revérifier la carrosserie, pour regarder s'il n'y a pas une rayure ou un petit éclat à mettre sur le dos de celles et ceux qu'il considère depuis le début comme des emmerdeur·euses à vélo!


La femme s'enfonce dans son fauteuil et se tait. Je m'imagine qu'elle comprend la scène. Et, je m'imagine qu'un jour ses enfants la comprendront aussi. Qu'un jour, lors d'un repas de famille, on reparlera de ce jour glorieux où papa, avec son engin d'une tonne et demi, a failli emboutir tout un peloton de militant·es écologistes et qu'il a voulu fuir. On se souviendra en reprenant du gâteau qu'il craignait davantage pour la carrosserie de sa corvette bien-aimée que pour la santé des deux personnes qu'il avait mises au sol. Au moment du café, on se remémorera ses répliques imparables, sa prestance et son sang froid. Papa, ce héros !


Car voilà, l'automobiliste s’impatiente, il trouve que nous ne sommes pas sérieu·se·x ! Lui, travaille et a des choses à faire (On est dimanche et en rase campagne ????). Il déclare que maintenant que chacun·e s'est exprimé·e sur ce "petit incident malencontreux" et que les deux cyclistes se sont relevé·es, ne pourrions-nous pas le laisser et chacun.e vaquer à ses occupations ? Le contre-temps et les indignations puériles ont assez durées, non ?


Estimation des dégâts

L'automobiliste finit par entendre que le vélo de Margot est abîmé. Il réplique que ce n'est pas grand chose « un vélo » ! Les pièces de sa voiture, elles, valent bien davantage. Et, certainement beaucoup plus que ce que nous aurions jamais les moyens de payer!


Mais, que sait-il du prix du vélo de Margot? Il s'agit d'un vélo polonais des années 1970 de la marque Romet, modèle "sport". Cadre mixte. Pièces détachées d'assez mauvaise qualité mais extrêmement rares. Un vestige du savoir-faire des travailleur·euses communistes!


Mais surtout, et en vrai, ce vélo il avait traîné longtemps à l'atelier. Je ne savais pas quoi en faire, il était en trop bon état pour le jeter et en trop mauvais état pour le réparer et le vendre. Un jour Margot était en galère de biclou alors je le lui ai donné, pour la dépanner, en attendant de trouver mieux. Et, elle, elle s'y est attachée! Alors ensemble, nous l'avons réparé, réglé ses freins, dévoilé ses roues, nettoyé ses chromes. Toutes ces heures de réparation, ça a été des heures où notre amitié s'est consolidée, où nous avons discuté, échangé, rigolé... Et, l'autre con, il roule dessus et il dit que c'est pas grave! Ce vélo, il n'a pas de prix, c'est des souvenirs! En plus Margot venait d'installer dessus un porte-chips très chic et très pratique! N'importe quoi! Nous, on l'aime ce vélo!


La banalité du mal, Dupont La Joie

L'homme ne se rend pas compte de qui nous sommes. Devant sa voiture, il a vu une jeune femme qui ne devait pas avoir l'air trop méchante et qui n'a pas du faire preuve de trop d'autorité. Elle était accompagnée d'un gars rigolard, un peu plus âgé, coiffé d'un turban coloré.


Pour notre chauffeur, c'est sûr, nous sommes des indien·nes, des comédien·nes sorti·es du carnaval, des je ne sais quoi... En aucun cas des « gens norma·lle·ux et respectables » ! De la manière dont il nous parle, nous sentons qu'il nous considère comme "des moins que rien".


Nous sommes habillé·s trop bizarrement pour être des cyclistes convenables (pas de tenues moulantes comme au Tour de France parmi nous!), nos vélos ont des drapeaux bizarres (Ils sont de toutes les couleurs avec des symboles libertaires et écologistes)... A ses yeux, nous ne sommes définitivement pas net·tes. Lui, par contre, est bien habillé, bien peigné, ainsi que sa femme et ses enfants. Il a une voiture rutilante qui "en jette", fruit de son travail, de son sérieux, de sa persévérance et de sa réussite. Il est fier! Et, il nous méprise!


Il nous méprise mais ne comprend pas que nous sommes des militant·es du vélo. Beaucoup d'entre nous lisent quotidiennement sur les relations entre la société, la consommation, la voiture, l'individualisme... Il ne saisit pas que nous sommes vite au courant dans nos ateliers de la violence de la société automobile... Combien d'entre nous ont déjà été percuté·es par une bagnole? Quelques copain·es y ont même perdu la vie...


Son incompréhension dissimule mal son ignorance. Cet homme n'appartient pas à l'élite fortunée. Il n'est une star qui parade sur la Croisette au volant d'une de ses belles voitures. Il n'en possède pas les codes et la culture. Il s'agit juste d'un prétentieux. D'un type qui ressemble au Clint Eastwood de Gran Torino, un simple gars qui a travaillé dur pour se payer la voiture de ses rêves. Il l'adule, la fait briller dans le garage. Et, le dimanche, avec femme, enfants et son joli polo, i·elles partent en virée. Cette voiture est le symbole de sa réussite. Mais, malheureusement, nous étions sur « sa » route... et, donc, la responsabilité de l'accident devient presque la notre! N'aurions-nous pas pu être ailleurs?


Il s'agit d'un triste Dupont La Joie, d'un type trop normal qui a sans doute pensé toute sa vie, sincèrement, n'avoir jamais fait de mal à personne. Sauf que voilà, sa femme ne parle pas, elle est complètement passive. Ses enfants, comme leur père, sont tellement dans la fétichisation de la voiture, qu'i·elles sont devenu·es totalement indifférent·es aux autres. Une bande de monstres inhumains, insensibles, lâches, arrogants, ignorants... Et surtout, ce qui est flippant, fier·es de l'être!


Dupond et Dupont

On était presque content·es de voir les gendarmes arriver! Pour une fois! Puis, comme souvent, ils nous ont déçu ! Pour nous, l'histoire se résumait à peu près ainsi : une voiture avait été à deux doigts de foncer sur un cortège de cyclistes et les deux personnes postées à l'intersection de la route pour le protéger avaient failli se faire écraser. Mourir, quoi !


Étant donné que dans les films, on déclare qu' « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités », nous aurions aimé que les gendarmes rappellent que quand on est pas capable de conduire une voiture de course, on choisit un véhicule moins dangereux. Nous aurions aimé qu'ils déchirent devant nous le permis de conduire du monsieur. Qu'ils immobilisent le véhicule avec des sabots. Ou bien qu'ils demandent à l'épouse de prendre le volant...


Nous aurions aussi aimé traiter le problème collectivement. Étant donné que le cortège n'est qu'un seul véhicule, en percutant deux personnes c'est tou·te·s les cyclistes qui ont été touché·es. Margot et Matthieu, les deux accidentés, n'étaient qu'une partie d'entre nous, ceux qui nous protégeaient. En réalité, l'accident tout le monde l'a eu. L'automobiliste n'a pas mis en danger deux personnes, mais bien tous les cyclistes du convoi. Et, s'il s'était faufilé, comme il le voulait, il se serait passé quoi ?


Nous aurions enfin aimé être traité·es d'égal à égal. Un vélo = Une voiture. Les vélos ne sont pas des jouets. Ce sont des véhicules à part entière. Quand on casse une roue arrière ou un cadre de vélo c'est comme si on enlevait une partie du moteur de la voiture et qu'on lui défonçait tout l'arrière. Pourquoi toujours utiliser l'argent pour comparer? Regardons aussi les choses sous un jour mécanique, éthique, écologique, etc. Un·e cycliste et un vélo à terre ce n'est pas moins important qu'un accident de voiture.


Bref, la justice a été égale à elle même! Elle a isolé les deux personnes percutées et  le conducteur. Elle a insisté sur les responsabilités individuelles, le cédez-le-passage et le code de la route. Elle a dit que chacun.e avait ses torts. Puis, elle a bien conseillée de ne pas faire de vagues, de ne pas s'énerver, de ne pas porter plainte. Ce ne serait que de l'énergie perdue, cela n'aboutirait inévitablement à rien! Déjà, disaient les gendarmes, on pouvait s'estimer content·es! Mais content·es de quoi? … Personne ne sait !  

Au fil des conversations, nous comprendrons que le conducteur et un des gendarmes se connaissaient bien. Partagent-ils des passions automobiles ou bien des préoccupations philosophiques sur le sens de la justice et de la déontologie? Mystère! Mais, quoiqu'il en soit, le chauffeur doit bien l’apéro aux gendarmes! Mais, alors, s'ils se réunissent pour fêter la victoire de l'impartialité, s'ils boivent un coup de trop, alors prendront-il le risque, malgré tous les énervés du volant en liberté, de rentrer chez eux à bicyclette ?


Pendant ce temps là, les autres gendarmes ont bien bossé. Ils ont maintenu l'ordre et désamorcé toutes les colères, invité chacun·e à grogner de son côté et à ne rien tenter ensemble... Circulez il n'y a rien à voir !


Matt et Margot ont terminé le constat. Ils ont enfourché leurs vélos et sont reparti·es avec leurs bleus et leurs doutes. Le vélo de Margot roulait de travers. Nous avions réussi à dévoiler du mieux qu'on le pouvait sa roue sur un coin de trottoir. Morte la pauvre roue: les flancs rappés, les rayons cassés. Le pneu, encore gonflé par miracle. Les freins arrière ont été enlevés et le garde-boue arrière tordu pour éviter les frottements de la roue devenue « chips ». Mais même avec ça, à chacun de ses tours, elle touche le cadre en produisant un douloureux bruit de ferraille.


Tout de suite après

On a beaucoup demandé à Margot et à Matt s'i·elles allaient bien. Les deux répondaient que oui. Mais, en fait, pas tant, quelques heures après, le genoux de Margot gonflait. Le médecin diagnostiquera le lendemain un problème de la rotule et une fissure de l'omoplate. Puis, il y a eu aussi la peur, le vélo, la confrontation avec le chauffeur, les gendarmes, les ami-es à rassurer... Combien de choses invisibles ? Margot me confiait qu'elle avait entendu l'un des fils de l'homme à la Corvette murmurer à son père « Ne perdons pas davantage de temps avec la dame, qu'elle vienne à la maison remplir les papiers! ». Indécence de père en fils! Triste héritage !


Que conclure ?

Le conducteur était sans doute autant victime que bourreau. On l'imagine bien dopé à la réussite sociale, en train de chercher l'admiration de ses semblables et de ses supérieur·es. S'il frime c'est pour appartenir à leur cercle. Les autres, les inférieur·es, i·elles peuvent crever, ils ressemblent trop à ce qu'il ne veut plus être. Il ne les voit même plus.


En voyant son polo de coureur·euse automobile, je me suis imaginé qu'il faisait partie d'un club de voitures de sport. D'un club où ce qui compte c'est d'avoir la plus grosse, celle qui va le plus vite. Un milieu où faut toujours paraître, se comparer, faire la compétition. Un milieu où il n'y a jamais de paix. Un monde magnifique de con·nes pour les con·nes.


Ce brave homme, travailleur, bon père et bon mari, a gagné à la sueur de son front sa voiture. Peut-être s'imagine t-il avoir acheter le droit d'écraser avec ? Combien d'heures de lecture de magazines automobiles et de visionnage de grands prix pour parvenir à ce niveau de décérébration? Pourquoi personne ne lui a dit que Clint Eastwood avait viré facho, à force de vouloir tirer au fusil sur tout ceu·lle·x qui lui semblait entraver sa liberté et sa propriété ? Sait-il qu'il vote maintenant Trump et que le rêve américain est depuis longtemps un cauchemar?


Nous espérons de tout cœur le réveil de cette petite famille de classe moyenne française. Que les enfants se révoltent quand i·elles comprennent les paroles et les actes de leur père. Que la femme déserte le siège de potiche qu'elle occupe à la droite de son mari et qu'elle dise tout haut ce qu'elle a sur le cœur. Nous espérons aussi qu'un jour, lui aussi, le chauffard, s'excusera. Pendant, tout l'incident, il n'y a jamais songé.


Ne lâchons rien

Les propos vélorutionnaires sont peut être parfois des obus qui passent au dessus de la tête de leurs cibles. Essayons de viser au plus juste. Nous connaissons tou·tes des personnes pouvant justifier la possession d'une voiture (de bonne ou de mauvaise foi). Mais qui connaît quelqu'un·e pouvant justifier la possession d'une voiture de sport ? D'un 4x4? D'un SUV?... Commençons par taper là dessus, le reste suivra...


Partout, il faut continuer la lutte, contre les voitures de sport et leur monde. Les magazines auto, les circuits automobiles, les fringues de coureur·euses, les Michel Vaillant, les Bat Mobiles, les Fast and Furious, les James Bond, les Paris-Dakar, les salons de l'Automobile, les Gran Torino, les Ferrari, les Mazerrati... Les revues de merde chez tou·te·s les dentistes, kiosques, pizzerias, laveries, publicités, les clips à bimbos et à bagnoles, etc. Hop, tout ça, poubelle! Rêver de grosses voitures, les aimer, c'est aimer la puissance, la domination, écraser les autres, c'est aimer la mort... La mort cérébrale pour soi, la vraie, -la mort physique- pour les autres...


Si l'on ne peut pas faire autrement, vive les 4L, les Dacia pourries, les petites voitures, les mobylettes!!! Ou encore mieux les trains, les bus, les trams, les bateaux!!! Vive tout ça, même si bien sûr les plus beaux et les plus écolos ce sont nos vélos, nos godillots et nos pédalos !

Remerciements

Merci à Margot et à Matthieu de nous avoir protégé de la grosse voiture ! A bas les voitures de sport ! Vive la Vélorution sociale et solidaire!

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  • Dans tout le grand sud-ouest, de même qu'on embauche pour commencer le travail, on débauche au moment de le quitter, et l'heure de la débauche n'a pas la connotation coquine que les gens du grand Nord peuvent y voir.

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